Soumis par Olivier Scher le
Fin décembre, les trois associations coordinatrices du PNAAB ont adressé le courrier ci-dessous à Madame la Ministre de l'Ecologie afin de lui faire part de leur inquiètude quant à l'absence de prise en compte de l'enjeu Bonelli dans le cadre du développement des énergies renouvelables sur notre territoire (courrier en téléchargement au format PDF en cliquant la vignette) :
Madame la Ministre,
Les associations que nous représentons sont en charge de la mise en œuvre du Plan national d’actions en faveur de l’Aigle de Bonelli en France, missionnées par votre Ministère. Cette politique ambitieuse à l’échelle de 3 régions (Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et PACA) et coordonnée par la DREAL Languedoc-Roussillon vise à restaurer le bon état de conservation de ce rapace emblématique de la région méditerranéenne, aujourd’hui réduit à seulement 32 couples dans notre pays.
Cette politique en faveur de l’Aigle de Bonelli a été relancée fin 2013 par la validation par vos services d’un nouveau Plan national d’actions en faveur de cette espèce menacée pour une période de dix ans (2014 – 2023). A cette occasion, votre prédécesseur M. Philippe Martin avait missionné le Préfet de région et le Directeur de la DREAL Languedoc-Roussillon (courrier joint), sur la mise en œuvre de ce nouveau PNA et leurs demandait d’être particulièrement attentifs sur deux points dont l’un concernait explicitement le développement des projets éoliens et photovoltaïques au sol : « A ce titre j’attire votre attention sur l’enjeu particulier que constitue dans votre région la préservation des domaines vitaux[1] et zones d’erratisme[2] de l’espèce qu’il convient de prendre tout particulièrement en compte dans les projets d’aménagements notamment lors de l’instruction des projets industriels liés aux énergies renouvelables (parc éoliens et centrales solaires au sol) pour lesquels le PNA recommande leur absolu évitement (sites dits « vacants » compris) ». L’évitement de ces espaces artificialisés par les couples d’aigles cantonnés a pour conséquence une réduction automatique de leurs territoires de chasse et donc de leur domaine vital. Cet enjeu a été classé comme prioritaire dans le nouveau Plan national d’action.
C’est précisément sur ce point que nous souhaitons attirer votre attention. Acteurs de terrain aux côtés de vos services déconcentrés, nous constatons de manière de plus en plus récurrente l’absence d’application effective de ces recommandations.
L’examen de quelques cas concrets vous permettra de mieux appréhender cette problématique :
- Parcs éoliens de la vallée de l’Hérault (commune d’Aumelas (34), EDF EN) : extension du parc existant avec 7 mats supplémentaires. Tout le projet est situé dans le domaine vital occupé par un couple d’Aigle de Bonelli. Projet autorisé malgré l’avis réservé de l’Autorité Environnementale (AE). Plainte déposée auprès de la Commission Européenne.
- Parc éolien du Fenouillèdes (communes de Lesquerde et Saint-Arnac (66), Société centrale éolienne du Fenouillèdes – Valeco) : installation de 10 mats. Tout le projet est situé à moins de 3 km des deux aires utilisées dans le domaine vital l’unique couple d’Aigle de Bonelli des Pyrénées-Orientales,. Permis de construire accordé malgré un avis négatif de l’AE non suivi par la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) ni par le Préfet des Pyrénées-Orientales. Recours contentieux en cours.
- Centrale photovoltaïque au sol du Puy Madame (commune de La Barben (13), Voltalia) : Nouveau projet de 52 ha retenu dans le cadre de l’appel à projet national lancé par la Commission de régulation de l’Energie. Ce projet vient à la suite d’un précédent projet de 170 ha sur le même secteur ayant fait l’objet de recours contentieux déposés par un collectif associatif. Les permis de construire de ce projet ont été annulés par le Tribunal Administratif de Marseille puis sa Cour d’Appel en mai 2012 puis mars 2014 au regard de l’incompatibilité de la révision du POS de la commune avec la Directive territoriale d’Aménagement des Bouches-du-Rhône ainsi que l’insuffisance de prise en compte de la biodiversité exceptionnelle du site, intégré dans la ZPS « Garrigues de Lançon et chaines alentour ». Ce projet avait fait l’objet d’un avis très défavorable de l’Autorité Environnementale. Concernant le nouveau projet, nous avons constaté l’absence d’avis de l’AE dans le délai imparti de deux mois, ce dont nous nous étonnons fortement du fait de l’historique contentieux sur ce site. Le projet est intégralement situé dans le DV occupé d’un couple d’Aigle de Bonelli. Enquête publique en cours.
- Centrale photovoltaïque au sol de Font de Leu sur le Domaine de Calissanne (Lançon-de-Provence (13), EDF EN) : Projet de 39 ha retenu dans le cadre de l’appel à projets national de la commission de régulation de l’énergie (CRE), situé dans le domaine vital occupé d’un couple d’Aigle de Bonelli (situé à 2km des aires de nidification du couple) et où hivernent et se reproduisent des Outardes canepetières, faisant elles-aussi l’objet d’un plan national d’actions. Permis de construire délivré malgré l’avis défavorable de l’AE. Recours contentieux en cours.
Ces exemples récents nous amènent à nous interroger sur la prise en compte des avis émis par vos services par les préfets et soulignent l’absence manifeste de prise en compte de vos recommandations quant à l’évitement des domaines vitaux de l’Aigle de Bonelli, pourtant inscrit dans le PNA sous l’action 2.2 « Prévenir et limiter l’impact des parcs éoliens et photovoltaïques industriels ». Nous réaffirmons avec force notre positionnement en faveur du développement des énergies renouvelables dès lors qu’il n’impacte pas le patrimoine naturel menacé et qu’il vise en priorité les surfaces déjà artificialisées et évite les zones agricoles et les milieux naturels, comme cela est préconisé par l’Etat en matière d’installations de centrales solaires au sol.
Nous vous demandons une meilleure prise en compte de la biodiversité et de sa fonctionnalité dans le cadre des appels à projets photovoltaïques et de l’instruction des dossiers PC/ICPE de manière à ne pas opposer de manière aussi caricaturale le développement d’une ressource énergétique durable et renouvelable à la préservation d’une biodiversité fragile qui nous semble être devenue le parent pauvre de votre Ministère. Nous notons d’ailleurs que dans le cahier des charges des appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Energie, la prise en compte des enjeux de biodiversité ne compte que pour 10 % de la note globale (10 points sur 100 en 2014) et n’est jamais déclassante.
Aussi nous vous remercions de bien vouloir réaffirmer auprès des préfets concernés leur obligation de prise en compte des enjeux patrimoniaux et notamment de l’Aigle de Bonelli lors de l’instruction des dossiers et de mettre en œuvre de manière effective le principe d’une compatibilité entre développement des énergies renouvelables et préservation de la Biodiversité.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, nos salutations distinguées.